Le Centre européen pour le droit et la justice (European Centre for Law and Justice, ECLJ) est une organisation non-gouvernementale internationale fondée en 1998 dédiée à la promotion et à la protection des droits de l’homme en Europe et dans le monde. L’ECLJ est titulaire du statut consultatif spécial auprès des Nations Unies/ECOSOC depuis 2007.
Dans son dernier rapport l’ECLJ a étudié étudier méticuleusement pendant plusieurs mois les déclarations publiques de financement des experts de l’ONU et a publié un rapport sur la corruption touchant un certain nombre d’experts de cette organisation.
Source (intégralité du rapport) : https://static.eclj.org/pdf/Rapport%20ECLJ%20Le%20financement%20des%20experts%20de%20l’ONU%2028%20juillet%202021.pdf?
Résumé introductif du rapport
« Les institutions internationales, telles que les Nations Unies, sont financées de façon croissante par des fondations et entreprises privées, en plus des États. C’est le cas par exemple de l’OMS qui a reçu plus d’un milliard de dollars en 2017, ou de l’UNICEF qui a reçu plus de 1,4 milliards de dollars en 2020. Le phénomène par lequel un acteur privé exerce une influence significative sur une institution publique au moyen de son financement a reçu, en sciences sociales, les appellations de « capture » et de « privatisation ». Ces acteurs privés sont peu nombreux et consistent pour l’essentiel en quelques fondations et entreprises : les fondations Gates, Ford, Open Society, Oak, McArthur, ou encore Microsoft. Le présent rapport étudie ce phénomène dans le cadre précis des Procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, qui sont « considérées par beaucoup comme le ‘‘joyau de la couronne’’ du système international de protection des droits de l’homme, selon les termes de Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations Unies ». Il fait suite au rapport sur « Les ONG et les Juges de la CEDH », publié en février 2020, qui décrivait l’emprise de quelques fondations et ONG sur la Cour de Strasbourg, et les nombreux conflits d’intérêts qui en résultaient. Ce nouveau rapport complète le précédent, non seulement en ce qu’il révèle l’étendue de l’influence d’acteurs privés au sein d’une autre institution internationale, mais aussi en ce qu’il expose l’emploi d’autres méthodes d’influence que celles utilisées à l’égard de la CEDH.
Cette recherche a été réalisée sur la base d’une série d’entretiens avec des experts de l’ONU et de l’analyse des déclarations financières publiées annuellement entre 2015 et 2019 par le Haut- Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), par les titulaires de mandats de Procédures spéciales, ainsi que par les deux principales fondations finançant le système, à savoir les fondations Ford et Open Society (entre 2016 et 2019 pour cette dernière). Cette recherche révèle l’ampleur des soutiens et financements accordés en marge du système des Nations Unies aux experts. Après analyse, les données financières disponibles relatives aux Procédures spéciales se sont révélées incomplètes et souvent incohérentes. Étant déjà un enseignement en soi, ce fait oblige à considérer les chiffres publiés dans ce rapport comme ne donnant qu’une évaluation indicative de la situation.
Ce rapport fait tout d’abord apparaître la précarité financière du système des Procédures spéciales, laquelle a facilité l’introduction d’influences financières externes. Entre 2015 et 2019, 40 % du budget des Procédures spéciales provient de financements extrabudgétaires, versés par quelques États, ONG et fondations privées. En effet, alors que le budget ordinaire des Procédures spéciales s’élève à près de 68 millions de dollars entre 2015 et 2019, ce sont près de 20 millions supplémentaires qui ont été versés volontairement aux Procédures spéciales dans leur ensemble, principalement par les Pays-Bas, l’Allemagne et les États-Unis. En outre, durant cette même période, quelques États ont aussi versé 14,6 millions de dollars supplémentaires à 51 des 121 experts en fonction. Enfin, toujours durant la même période, 37 des 121 experts ont déclaré avoir reçu en outre 134 versements financiers directs, pour un montant total de près de 11 millions de dollars. Ces derniers versements se distinguent des précédents en ce qu’ils ont été versés aux experts sans passer par l’ONU, et en ce qu’ils ne font en conséquence l’objet d’aucun contrôle ; ils proviennent majoritairement d’acteurs privés. Les versements financiers affectés de façon sélective à quelques experts – et non pas au système dans son ensemble – ont plus que doublé entre 2015 et 2019.
Le rapport fait apparaître aussi que le système repose sur un grand nombre de « dons en nature » d’acteurs privés consistant souvent en la mise à disposition de collaborateurs et de bureaux : 36 experts sur les 121 déclarent avoir ainsi reçu 125 « dons en nature » entre 2015 et 2019. Ces dons en nature ne sont pas évalués, mais peuvent être considérables. Certains experts sont aussi rémunérés personnellement par des financeurs externes à l’ONU, alors même qu’ils doivent être bénévoles.
Afin de compléter cette première analyse, nous avons proposé un entretien à 150 titulaires de mandats au titre des Procédures spéciales en fonction entre 2010 et 2020. 37 d’entre eux ont accepté de répondre à nos questions, dont 28 avec lesquels nous avons effectivement mené des entretiens d’une durée moyenne d’une heure. Ceux-ci ont été riches d’enseignements sur le fonctionnement du système, sur les causes et modalités des « soutiens extérieurs ». La plupart des experts interrogés, conscients de l’existence d’un problème et du caractère sensible de ce sujet, ont demandé que leurs propos ne leur soient pas attribués nominativement afin de parler plus librement, d’autres ont renoncé à l’entretien. Certains, en revanche, ont accepté d’être cités. Sur les 28 experts entendus, 23 sont universitaires, trois sont issus d’ONG, 14 reçoivent des financements extrabudgétaires, notamment privés.
Outre les titulaires de mandat, nous avons aussi mené des entretiens avec Mme Beatriz Balbin, Chef du département des Procédures Spéciales au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), ainsi qu’avec MM. Marc Limon et Ted Piccone, auteurs d’une étude de référence parue en 2014 « Special Procedures : Determinants of Influence » (Universal Rights Group – Brookings Institution). Ce rapport a aussi été relu, avant publication, par des titulaires de mandats.
Au terme de cette étude, il apparaît que l’offre de financements et de soutiens directs aux titulaires de mandats vise souvent à orienter leur action, voire à l’encadrer et à la contrôler, et porte donc significativement atteinte à leur indépendance. Presque tous les experts interrogés partagent ce constat, certains ayant employé le mot de « corruption » pour qualifier ce phénomène. Il apparaît aussi que ces financements et soutiens sont opaques, et que les financements et soutiens directs ne font en outre l’objet d’aucun contrôle. Presque tous les experts interrogés souhaitent une plus grande transparence quant au financement des Procédures spéciales.
Cette étude révèle aussi que la majorité de ces financements et soutiens provient d’un nombre très réduit d’acteurs majoritairement anglo-saxons. Plus encore, au moins 52 des 222 titulaires de mandats au titre des Procédures spéciales depuis 2010 exercent, ou ont exercé, une responsabilité dans l’Open Society ou dans une ONG financée par les fondations Ford ou Open Society, fondations qui sont aussi les deux principaux financeurs privés du système.
Cette étude révèle aussi le manque de transparence dans l’utilisation du budget des Procédures spéciales par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
En synthèse, cette étude fait apparaître un phénomène croissant de capture, par quelques acteurs, du système des Procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Simultanément, la majorité des experts qui ne perçoivent pas ces « soutiens » doit agir avec très peu de moyens, de façon généreuse, en donnant beaucoup d’eux-mêmes et de leur temps. Il y a ceux qui « connaissent le système », suivant l’expression utilisée par certains experts, et les autres qui ne le connaissent pas ou qui veulent rester réellement indépendants.